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Chapitre 7

LE PRIX DU MAQUILLAGE

 

     Hélas, non, il ne s'agit pas encore d'une prestigieuse récompense française enfin attribuée au maquillage de cinéma, lui reconnaissant finalement sa juste place dans cette industrie, mais, plus prosaïquement, du coût des choses. 

 

     Comme je l’annonçais au chapitre 2 Qui sont les maquilleurs sur un film ?, et comme le précédent La préparation du maquillage avant le tournage, celui-ci s’adresse en particulier aux cinéastes débutants ou amateurs, tout particulièrement à ceux qui n’ont pas (prévu) le budget maquillage nécessaire pour leur tournage et demandent des maquilleurs bénévoles et si possible à tout faire (coiffure, habillage, stylisme, chauffeur, café ou balayage - mais si, ça s’est vu…) en plus du maquillage.

 

     Je vais essayer ici de leur faire prendre conscience de la réalité et des efforts financiers de ce qu’ils demandent vraiment, souvent inconsciemment.

 

     En espérant qu’à l’avenir ils penseront à intégrer le budget maquillage dans le budget général de leurs films afin de faire des demandes raisonnables à leurs maquilleurs, je proposerai aussi une suggestion pour résoudre ce douloureux problème calmement. 

Le juste prix des choses 

 

     Même sur un court métrage autoproduit ou à petit budget, il est parfaitement illusoire de croire qu’on peut tout avoir pour rien : chaque chose a son prix minimum. C’est bien évident. 

  • Les perruques et postiches divers, en location ou à l’achat chez un perruquier, seront au même prix pour un court métrage auto-produit que pour un long métrage de super production. Et c’est logique, car le perruquier devra payer ses employés de toute façon au même prix. 
  • Pourtant votre maquilleur expérimenté peut avoir quelques stocks réutilisables pour vous dépanner à meilleur compte, mais il lui faudra aussi amortir son matériel, et le temps nécessaire avant tournage pour le préparer (nettoyage, coiffure, mise en plis, etc…) selon vos besoins. De plus, il pourra vous faire faire des économies substantielles s’il sait préparer des postiches au collé-décollé, Cf. chap. 2, ou quelques petites prothèses par lui-même.
  • De même, les fournitures de maquillage dans les boutiques spécialisées auront le même prix pour tous (sauf accords publicitaires particuliers, bien entendu, mais c’est plus que très rare…). 
  • Alors, puisqu'il faudra payer pour le matériel, pourquoi serait-ce différent pour l’humain, le maquilleur, qui ferait le travail et le sacrifice total de sa légitime rétribution ? 

 

A titre indicatif 

 

     Pour vous donner une petite idée, très approximative, des frais que doit engager un jeune maquilleur débutant pour un court métrage, j’ai calculé (en… 2009, alors aujourd'hui en 2018 il y a 9,8% d'inflation à rajouter à mes calculs ci-dessous) le prix d’un fond de boîte minimum pour une seule séance, naturel ou beauté, si votre maquilleur devait tout acheter. Les prix pouvant varier selon les marques et les fournisseurs, il s’agit là de prix moyens :

  • 450 € de produits basiques + les consommables (coton, kleenex, démaquillant, etc…) 50€ = 500 €. Et avec ça, on ne peut pas attendre des miracles… sans les pinceaux et la mallette, à tous les prix mais de qualités variables.
  • Ajoutez s’il y a lieu : 
    • les faux-cils : de 7 € à 30 € la paire ; 
    • les vernis et faux ongles, de 10 à 50 € ; 
    • les lentilles pour changer la couleur des yeux : 20 à 30€, voire plus pour des lentilles spéciales SFX.
  • Pour un minimum d’effets simples, rajouter 540 €. Et je ne parle pas ici des produits à acheter en autant d’exemplaires qu’il y a de personnes à maquiller pour des raisons d’hygiène évidentes (exemple : les lentilles oculaires et les vernis à dents, pour zombis ou malades, même s’ils peuvent servir plusieurs fois à une personne définie, ils ne doivent pas servir à plusieurs personnes et seront jetés après le tournage). Dans presque tous les cas, même si ce n’est pas une règle absolue, plus il y a de monde à maquiller, plus il y a d’effets à réaliser, plus le prix des fournitures sera élevé. 
  • Si l’importance du travail requiert un ou plusieurs assistants, qui viendront chacun avec sa boite, il conviendra de leur donner aussi un amortissement de leurs frais de fond de boite, au moins 50€ pour la journée. 

     Contrairement à ce que croient naïvement certains jeunes débutants, le seul remboursement au maquilleur de ses frais et fournitures ne saurait en aucun cas être considéré comme une rétribution de son travail (cf. ci-dessous : Le bénévolat) : d'un strict point de vue juridique, c'est illégal et puni par la loi.

 

Et aussi

 

     Pour un film de fiction, long ou court, rajouter au minimum si le maquilleur débutant n’a pas encore pu acquérir tout le matériel professionnel nécessaire : 

 

Pour un petit travail de prothèse 

  

  • Il faut compter un minimum de 500 à 660 € pour des pièces en gélatine ou en silicone, selon le matériel utilisé pour fabriquer les moules et les pièces, et pour acheter les colles appropriées et leurs dissolvants spécifiques, les démoulants, les colorants et un minimum d'outillage léger spécifique.
  • Ce chiffrage comprend le matériel de moulage et de tirage de prothèses prévisible pour un ou deux petits effets — tels que petites cicatrices plates simples, impacts de balles, ou petit masque de zombie, ou équivalents en volume de matériel — pour lesquels l'achat d'un seul petit kit standard complet est nécessaire, mais pas les effets de sang, poussière ou huile évoqués ci-dessus. Il va de soi, naturellement, que si vous avez besoin d'effets plus nombreux et/ou importants — tels que plusieurs grosses pièces, grandes cicatrices corporelles, plusieurs masques pour plusieurs jours de raccord, etc… — Il faudra à votre équipe des quantités de matériel plus importantes pour faire les moules et tirer les prothèses. Vos coûts augmenteront donc logiquement en conséquence des quantités nécessaires et des conditionnements disponibles.
  • De plus, pour un masque complet, un gros moule en plâtre à l'ancienne est très lourd à manier ; des matériaux modernes beaucoup plus légers seront donc utilisés dans ces cas-là. Bien sûr, ils sont plus chers, surtout dans les quantités nécessaires à ce genre de travail. Les prix, là aussi, dépendront des quantités requises et des conditionnements commerciaux.
  • Les prothèses volumineuses en mousse de latex nécessitant de gros investissements en four et autres lourds équipements de laboratoire ne sont donc pas à la portée du budget d'un film d'amateur ou de débutant, ni accessibles à un maquilleur sortant à peine de l'école s'il n'a pas une solide formation adéquate et un budget sérieux correspondant au projet à réaliser. De tels projets sont plutôt du ressort d'un maquilleur déjà expérimenté ou d'un atelier spécialisé. 
  • et 70 € pour fabriquer un seul faux crâne sur mesures (moule, démoulant, pinceaux, produit plastique incolore, colorant éventuel). Il sera pourtant plus économique d’acheter deux calottes standard pour faux crânes (1 pour une seule journée de tournage + 1 en cas de problème soit environ 50 € selon les fournisseurs) que de vouloir en fabriquer une seule si on n'a pas déjà tout le matériel approprié. Il ne commence à devenir intéressant de les fabriquer qu’à partir de 6 ou davantage. Sans parler du temps passé et du prix de la main d’œuvre… Un bon maquilleur saura vous les faire s’il en a vraiment besoin. 

 

Pour les postiches 

 

  • Les perruquiers de spectacle vous donneront un devis de fabrication pour chacun des postiches faciaux réutilisables indispensables (variables selon le postiche, la taille, la couleur, je ne vous donnerai donc pas de chiffre ici), mais un bon maquilleur saura vous faire tout postiche facial pour une journée. Voyez comment procéder avec eux au chapitre précédent.
  • S’il n’y a pas besoin de passer chez le perruquier parce que votre maquilleur sait faire les postiches sur place au poil-à-poil, il faut prévoir entre 150 et 1125 € selon que l’on utilisera du crêpé de laine ou du cheveu véritable avec des fers à friser, (je ne parle pas ici du prix des postiches eux-mêmes, mais du matériel et des outils pour s’en servir). 

     Tout cela peut sembler cher pour un film d'école ou autoproduit — à juste titre, j’en conviens — mais c'est incompressible. En revanche, les frais ne bougeront pas forcément beaucoup s’il y a quelques jours de tournage. La situation peut évoluer s’il y a plusieurs semaines de tournage. Sur un long métrage professionnel, produit et payé normalement, ces sommes sont dérisoires et les directeurs de productions connaissent en principe bien le prix des choses et les besoins de ravitaillement selon l’importance des tournages. Nous verrons dans un instant comment faire pour les films d'école ou réellement humanitaires.

 

     Les perruques et postiches en cheveux naturels ont certes un coût (que la location diminue très sensiblement dans la plupart des cas), mais ils ont aussi indéniablement une qualité et un rendu parfaits qui ont fait la réputation des films de cape et d'épées d'autrefois. Les films sérieux utiliseront donc ces perruques et postiches que les coiffeurs et maquilleurs pourront recoiffer à tout moment en fonction des besoins du tournage. Les films à trop petit budget, ou mal préparés, recourent aujourd'hui trop souvent à des perruques synthétiques à (relativement) bon marché, mais leur qualité et rendu à l'écran sont aussi bas que leur prix. De plus, il sera rarement possible de les recoiffer à volonté ou de refaire un front adapté pour un acteur. Si ces perruques sont idéales pour les déguisements ou le carnaval, elles risquent donc de donner une mauvaise image du film, du cinéma français et de ceux qui le font dans ces conditions. Ce n'est certainement pas l'intérêt des producteurs, réalisateurs, maquilleurs ou coiffeurs, débutants ou non.

 

     Contrairement à ce qu’imposent certaines écoles de cinéma, les producteurs-réalisateurs doivent commencer par s'assurer un minimum de financement sur chaque poste de leur équipe avant d'appeler au bénévolat. Je veux évidemment vous dire que le choix n'est pas entre vous pousser à faire des dépenses somptuaires ou vous empêcher de faire votre film faute de moyens : il faut trouver un juste équilibre, car on n'a JAMAIS, NULLE PART, rien sans rien ; mais il faut absolument faire le minimum d'investissements indispensable pour obtenir un résultat de qualité utile à votre promotion et pas seulement sur les décors ou le matériel informatique. Défendez cette qualité, c'est la seule façon de vous faire bien remarquer, que vous soyez réalisateur, producteur, maquilleur ou coiffeur.

 

     Sans parler des gags vendus en farce et attrape, bien évidemment inutilisables pour un effet réaliste au cinéma, les faux-nez et certaines blessures standard vendus en boutique sont rarement utilisables au cinéma puisqu’ils ne sont précisément pas faits pour votre acteur : leurs bordures risquent de mal joindre sur le visage et d’être visibles. Il faudra donc faire faire sur mesures (pourles postiches) et sur moulage (pour les prothèses) ce dont vous aurez besoin pour votre tournage par votre maquilleur et son équipe si vous voulez du travail invisible de qualité. Il faudra aussi systématiquement prévoir un jeu de secours de chaque pièce en cas de problème, ça coûtera de toute façon moins cher que de devoir faire revenir l'équipe, surtout si c’est fait par votre maquilleur compétent en la matière. Le coût de revient dépendra alors de deux choses différentes : vos accords de rémunération du technicien et le prix des fournitures indispensables pour réaliser les travaux pour une ou plusieurs personnes à maquiller. Le prix des fournitures sera nécessairement le prix du commerce. Pour autant, s’il faut un peu de sous pour payer les fournitures, le résultat dépend surtout de la compétence de la personne qui s’en sert.

 

     Mais, bien entendu, un professionnel peut avoir déjà tout ou partie du matériel nécessaire pour votre tournage, minimisant ainsi les frais de fournitures. Dans ce cas, d’accord avec vous, il pourra avancer son matériel pour votre tournage et achètera, à vos frais, de quoi remplacer ou compenser ce qu’il aura utilisé.

 

     Soyez assuré qu'il n’y aura jamais de sous-titre expliquant que le maquillage est mauvais parce que le maquilleur n’a pas eu le temps de préparation ou le budget nécessaire : on dira que le maquilleur (et ce ne sera alors pas forcément de sa faute !…) et le film sont mauvais. Ce n’est sûrement pas l’intérêt des maquilleurs ni des réalisateurs de courts-métrages car leurs films leur serviront de carte de visite auprès des producteurs de longs métrages. Il vaudra donc mieux qu’ils aient l’air sérieux. Pensez-y bien, dans votre propre intérêt : votre avenir en dépend. 

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Le bénévolat 

 

     Maintenant que vous avez vu dans le premier chapitre ce qu’est le Maquillage de Cinéma, dans le second qui sont les maquilleurs, dans le troisième ce qu’on est en droit d’attendre d’eux, le parcours du combattant qu’ils doivent accomplir pour devenir maquilleurs de cinéma dans les 4e et 5e, et comment aborder la Préparation d’un film, vous savez que ce travail n’est pas « peu de chose, presque rien » et mérite légitimement, tout autant que votre propre travail, considération et reconnaissance.

 

     Ceux qui recherchent des blessures et autres maquillages de zombies, des faux-crânes complets ou partiels, ou ceux qui ont besoin d'un vieillissement crédible ou d'une créature extraordinaire peuvent consulter les chapitres 9, 10 et 11 consacrés à ces sujets pour se faire une idée du travail que cela représente. Le budget dépendra des matériaux mis en œuvre et du temps qu'il faudra pour réaliser ces travaux. Ils peuvent aussi consulter un maquilleur prothésiste confirmé pour avoir une idée approximative selon leurs désirs et budget. Je vous rappelle que même s'il est préférable d'avoir une prothèse fiable, pour un seul jour de tournage il est toujours possible de travailler directement sur l'artiste si on dispose des produits adéquats et si on sait s'en servir (cf. Les différents types de maquillage au cinéma / Effets simples courants) : le travail est délicat, peut être plus ou moins long selon l'importance de la blessure à faire, et réclame une surveillance continuelle (traces de coups dans la pâte à modeler classique, décollement du silicone, entre autres) pendant le tournage, mais ça marche bien s'il n'y a pas de raccord à faire ultérieurement.

 

     Pour être équitable, je dois maintenant vous parler du bénévolat que certains trouvent normal de demander et d’attendre, comme si tout le monde devait s’investir dans leur projet autant, voire davantage, qu’eux mêmes.

 

     J’ai déjà indiqué les conventions collectives régissant les usages professionnels et les tarifs minimums reconnus par les employeurs normaux pour tous les techniciens de cinéma, donc aussi pour les maquilleurs, dans le chapitre Qui sont les maquilleurs au cinéma ?, je vous invite à les consulter pour voir la valeur minimum réelle de ce que ces jeunes réalisateurs encore ignorants des réalités, des lois et des choses du métier demandent si abusivement. Pour autant, ce tarif minimum ne s’applique à chaque poste que pour un premier film, rappelons-le. Ce n’est donc pas censé être un plafond de référence, loin de là, et beaucoup de maquilleurs expérimentés travaillent normalement à un salaire supérieur. Il en est de même pour tous les autres postes d'une équipe technique.

 

     Je sais que les courts-métrages sont à petits budgets, que l’on dit même souvent qu’il n’y a pas de budget du tout, et qu’on attend presque systématiquement des maquilleurs qu’ils soient bénévoles. C’est même une exigence scandaleuse de certaines écoles qui interdisent à leurs élèves de payer les gens qu’ils vont employer, sous prétexte de leur faire découvrir les vrais problèmes du métier. 

 

     C’est précisément là la carence grave de nos écoles de cinéma actuelles qui ne vous apprennent pas à intégrer le coût du maquillage dans vos devis, donc dans vos plans de financement. Il ne faut pas négliger cet aspect économique du métier au risque non seulement de mépriser les techniciens et leur fonction — par ignorance de ce que ça coûte aux gens quand on leur demande d’être bénévoles — mais aussi de risquer de vous priver de l’apport artistique si riche du maquillage. Ce qui serait grand dommage pour votre film.

 

     Un maquilleur au cinéma ne se facture pas à l'heure comme un artisan comme on le croit trop souvent dans les annonces : « — Votre présence sur le tournage ne dépassera pas 3 ou 4 heures ». Le maquilleur devra toujours être là au moins une à deux heures avant le début du tournage pour préparer les acteurs pour le tournage et ensuite rester pour assurer la surveillance pendant tout le temps nécessaire et ensuite il devra démaquiller les artistes. Sans compter son temps de voyage pour aller au tournage et en revenir. Il accorde donc beaucoup plus que les fameuses 3 ou 4 heures de l'annonce et ne peut donc rien faire d'autre dans sa journée qui lui aurait rapporté rémunération. C'est pour cela que la convention collective stipule que "Toute journée commencée est due en entier". Résumer la présence du maquilleur à la partie visible de l'iceberg montrerait votre ignorance professionnelle en la matière, et votre mépris pour cette catégorie de techniciens, ce qui n'encouragera personne à vouloir travailler pour vous. Faites donc attention à la façon dont vous rédigez vos annonces cherchant du personnel.

 

     Un professionnel du maquillage peut toujours exceptionnellement donner une journée de son temps à un parent ou un ami qu’il connaît bien pour avoir déjà travaillé avec lui. C’est parfois possible quand il n’y a rien d’extraordinaire à faire. Mais dès qu’il y a des personnages à créer, et c’est le cas systématiquement sur tout film de fiction, il y a de la part du maquilleur un investissement de temps important, bien au delà de la seule journée de tournage apparente, comme je vous l'ai expliqué dans le chapitre sur la préparation et développé dans le suivant sur la Conception des personnages justes. En outre, il peut y avoir des frais de fournitures spécifiques (fonds de teints particuliers, postiches spéciaux sur mesures…) en plus des fournitures basiques comme nous l’avons vu plus haut.

 

     Or, même pour un film d’école, même pour un court métrage autoproduit, même en période de crise, il faut bien que quelqu'un paye pour l'ensemble des fournitures. Les frais de matériel ne peuvent pas et ne doivent pas être à la charge de celui ou celle qui vous rend service.

 

     Pas plus que ses déplacements (taxi, train ou avion), son hébergement, ses repas. C’est bien la moindre des choses. Et si vous, réalisateurs débutants, avez payé très cher votre école, pensez que les élèves maquilleurs ont payé aussi cher que vous, si ce n’est pas plus. Il est donc logique qu’ils perçoivent sur votre tournage au moins un peu plus que le remboursement de l’intégralité des frais engagés, ne serait-ce que pour leur permettre de continuer à investir en matériel pour leur fond de boîte (lequel vous est utile aussi) ou à rembourser un peu de leur frais de scolarité. Vous leur devez bien au moins ça. 

 

     Et, même pour un court métrage, même si vous pensez avoir déjà beaucoup dépensé en faisant vos propres achats, c’est donc à vous, producteurs - réalisateurs responsables, de payer pour la totalité de ces fournitures, et un petit budget doit être prévu pour rémunérer (ou au moins indemniser) le travail du maquilleur, en sus de ses frais. Comme pour tout autre poste de l’équipe. 

 

     Il y a quelques temps, j'ai trouvé sur Internet cette fiche qui explique et définit précisément ce qu'est le bénévolat juridiquement aux yeux de l'URSSAF. Comme on comprend bien que cela ne peut s'appliquer à une prestation maquillage, au cinéma ou en photo, il vaut mieux la lire, que vous soyez photographe ou maquilleur, afin de vous éviter des désagréments : 
http://www.comcom.fr/les-benevoles-dans-le-secteur-culturel-sont-ils-des-salaries-comme-les-autres (voyez ci-dessous comment faire pour payer normalement les intermittents). 

 

     Pour ceux d’entre vous qui comprennent l’anglais, vous trouverez ci-dessous un petit clip très drôle que m'a jadis communiqué John Woodbridge et qui vous montrera avec un grand humour l’absurdité de ce genre de demandes de bénévolat. 
https://www.youtube.com/watch?v=R2a8TRSgzZY&feature=player_embedded

 

     Le cinéma est pour moi — comme pour beaucoup d'autres — un métier-passion. Cela signifie que si la passion donne envie de vivre, le métier est censé devoir permettre au maquilleur, tout comme au réalisateur, de payer ses frais de vie grâce à son travail. Il est donc normal qu'il soit rétribué pour son travail sur votre film.

 

     Ce qui vous permettra de retrouver votre maquilleur quand vous en aurez besoin sur un film à budget normal. 

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Résumons la situation 

 

  • Actuellement, vous qui devez faire un film sans argent, vous n’allez pas chercher à vous procurer la somme nécessaire avant le tournage puisque, paradoxalement, on ne vous y incite pas dans votre école, mais vous demandez des travailleurs bénévoles (et nous avons vu précédemment ce que ce bénévolat peut leur coûter) par petites annonces ou vous vous adressez dans les écoles.
  • On ne vous a pas parlé du maquillage dans votre scolarité pour vous en présenter l'intérêt réel, ses possibilités, ses coûts et ses délais. Comme vous n'en connaissez que ce que la presse signale, vous n'en avez donc qu'une idée embellie, fantasmatique, irréelle, détachée du concret du travail et des coûts réels qui ne sont jamais mentionnés dans les journaux. Résultat : vous vous indignez vertement, mais à tort quand on ose vous réclamer un dédommagement pour participer à votre film ou un remboursement de frais.
  • Certaines écoles de maquillage, croyant se faire de la publicité, proposent leurs élèves pour faire le travail gratuitement à la place de professionnels. Elles ont une courte vue : elles font du tort au métier et à elles-mêmes, autant qu’à leurs élèves qu’elles induisent en erreur par ce mauvais comportement professionnel. 

     Ce système n’est finalement bon pour personne. 

 

     Tout cela est absurde.

 

     Dans le cinéma comme ailleurs, les stages ont pour but premier de former les étudiants, réalisateurs, maquilleurs ou tout autre poste technique. Un étudiant n’est pas encore un professionnel, il n'a pas encore tout appris, ne connait pas encore toutes les bases minimum indispensables et ne sait donc pas comment faire bien tout ce que peut faire un professionnel expérimenté.

     

     Ce serait donc dangereux : 

  • pour vous : de lui confier la responsabilité de votre tournage, au risque d’un problème quelconque aux conséquences financières (et peut être humaines) plus ou moins graves ;
  • pour lui : s’il échoue car une mauvaise image de lui resterait sur le film pendant des années ; et pendant qu’il tourne pour vous il manque ses cours, peut-être importants pour lui ;
  • pour l’école et sa réputation : s’il y a un pépin ; sans compter le mécontentement des élèves…
  • et aussi pour le métier en général : si tous les postes de maquilleurs sont ainsi pourvus gratuitement, les écoles formeraient donc des élèves… qui ne trouveraient pas de travail normalement rémunéré après l’école, les places étant occupées par leurs successeurs…

     Ce serait alors l’absurde inverse du but recherché normalement tant par les élèves que par les écoles elles-mêmes. 

Alors, comment faire ?

 

  • Consommer dans un restaurant sans avoir de quoi payer en toute connaissance de cause s'appelle de la grivèlerie (Art. 313-5 du Code Pénal = 6 mois d'emprisonnement et 7500 € d'amende) ;
  • prendre des marchandises sans payer s'appelle de l'escroquerie (5 ans d'emprisonnement et 37500 € d'amende) ou du vol ;
  • faire travailler pour le seul remboursement des frais est illégal, et je suis certain que vous ne voulez pas vous mettre dans un aussi mauvais cas.

     Voici donc comment faire normalement.

 

     Cinéaste amateur ou débutant, la première des choses est de vous assurer que vous avez les moyens de tourner votre film, honnêtement, pour tout les postes de votre équipe. Sinon, faites comme tout le monde : cherchez du financement. C’est le b.a.-ba du cinéma et de toute affaire normale ; c'est aussi le métier du producteur, même s'il est aussi le réalisateur. Au besoin, regroupez-vous avec des collègues, faites moins de films, peut être, mais des films plus étoffés qui respectent tout le monde. Soyons clairs : il n’est tout simplement pas possible, pas viable, de ne travailler que bénévolement, et faire travailler toute une équipe d'êtres humains n'est pas un simple jeu de soldats de plomb pour enfants gâtés inconscients des autres. Faire un film est un métier sérieux, comme tout autre.

 

     Selon la législation en vigueur actuellement en France, les gens que vous allez employer sur votre film relèvent de l’Art. VIII de la Convention Collective Nationale pour les techniciens et de l’Art X pour les artistes, comme cela a déjà été signalé dans les chapitres précédents. 

 

     Pour être en règle avec la Loi française, voici comment payer les intermittents (acteurs ou techniciens) donc les maquilleurs dans le spectacle.  http://www.comcom.fr/faire-travailler-et-remunerer-des-intermittents-du-spectacle 

 

     Pour les maquilleurs hors spectacle, tant qu'il n'y aura pas de statut officiel, il faudra donc continuer d'appliquer ces règles, comme de coutume, ou contourner la loi à vos risques et périls. 

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Une solution parmi d’autres

 

     Pour autant, bien qu’il ne soit pas question pour moi d’inciter un technicien à faire un film normal à de mauvaises conditions, on l’aura bien compris, il n’est bien évidemment pas question d’empêcher que les élèves réalisateurs fassent leurs films d’école, ce serait absurde pour le cinéma : les courts-métrages sont indispensables au cinéma et à la culture, et une mine d'or artistique dans beaucoup de cas. Alors, tout en sachant que tout travail doit légalement être payé selon les critères en vigueur, essayons de trouver un moyen d’organiser les choses pour que ces films se fassent malgré les difficultés et soient profitables à tout le monde, quelle que soit sa branche. Il ne faut pas avoir peur de contacter un professionnel expérimenté pour lui demander de vous aider pour votre film d'école et discuter d'une compensation quelconque à trouver ensemble.

 

     Comme un stagiaire est là pour apprendre, et non pour faire, il faut qu’il apprenne sous la houlette d’un maître compétent sur un tournage réel, car outre les techniques apprises confortablement en classe, il faut apprendre la dure réalité de la vie de plateau – ce qui ne peut pas s’apprendre à l’école – les rapports avec les autres techniciens, sa propre place dans une équipe, comprendre qu’on est une brique qui doit s’intégrer dans l’édifice en construction qu’est un film. Le générique d’un film annonce d’ailleurs le nom de toutes ces briques qui ont participé à sa réalisation : aucune n’est inutile.

 

     L’idéal serait de prévoir un budget maquillage, même petit, permettant d’engager un chef maquilleur rémunéré (ou au moins indemnisé) et de lui adjoindre un ou deux stagiaire(s), élève(s) d’une école ou sorti(s) depuis peu, pour qu’il le(s) forme (ayant le temps pour cela) et le(s) fasse bien travailler sous sa responsabilité. 

 

     Ainsi : 

  • Vous aurez du bon travail, une bonne carte de visite à présenter à des producteurs futurs employeurs, et un film qui pourra être accepté et distribué moyennant finances par les diffuseurs, vous permettant ainsi de récupérer votre budget devenu un investissement ; 
  • Un professionnel aura gagné sa vie et connu un débutant qu’il pourra éventuellement rappeler si leur collaboration a été fructueuse ; 
  • Un étudiant aura appris son métier correctement et connu un chef pour débuter son carnet de (bonnes) relations, étant bien entendu qu’il pourra aussi faire d’autres stages avec d’autres chefs ; 
  • Et tout le monde sera content, car ainsi se refera le brassage des générations et la communication des techniques se fera dans l’intérêt de tous et au bénéfice de chacun. 

     Le principe de la rémunération du maquilleur étant reconnu et acquis, en sus des frais, il vous appartiendra d’en négocier le montant raisonnable avec lui. Précisons bien que ce genre d'agrément n'est valable que dans le cas de films d'écoles ou d'amateurs pour aider à la pérennité de l'industrie cinématographique, les conditions réglementaires et tarifs normaux devant obligatoirement s'appliquer aux (télé)films normaux. 

 

     On pourra penser ce qu’on voudra de cette suggestion, mais on ne saurait la rejeter sans l’avoir essayée. Dans l’intérêt même de l’avenir du cinéma, j’invite donc les jeunes réalisateurs-producteurs à faire tous leurs efforts pour la mettre en pratique. J’invite aussi mes jeunes collègues maquilleurs à ne pas accepter, dans leur propre intérêt, les demandes de travail bénévole avec simple remboursement des frais plus ou moins limité, et à accepter de préférence une proposition faite selon les critères proposés ci-dessus ; ceci leur permettra de développer leurs connaissances avec des maquilleurs capables de leur transmettre quelque chose de plus. Ils peuvent aussi chercher eux-mêmes un chef-maquilleur pour les aider si on leur propose un tournage. 

 

     Et, naturellement, j'invite mes collègues maquilleurs en fin de carrière (ils ont déjà beaucoup d'expérience à offrir) ou les plus jeunes en milieu de carrière entre deux contrats normaux, à accepter avec bienveillance ce genre de propositions utiles à tous. Réfléchissez-y sérieusement.

 

     Bien entendu, cette idée ne peut fonctionner que si chacun est loyal envers l’autre. L’apprenti réalisateur-producteur devra accepter qu’on ne fait pas un film avec rien et apprendre à prévoir un budget minimum suffisant avant de commencer à tourner. Je sais que c’est difficile, mais on n’entre pas dîner au restaurant sans avoir de quoi payer l’addition si on n'est pas invité par quelqu'un qui le pourra, et ce n’est qu’au prix de cette loyauté que les réalisateurs trouveront des maquilleurs (et tous les autres postes) disposés à les aider et à faire un effort sur leur rétribution pour faire leurs films dans d’excellentes conditions profitables pour tous.

 

     En tout cas, en attendant de retrouver des films à conditions de travail normales, c’est ce que je souhaite : à vous réalisateurs-producteurs débutants, et à vous, mes chers collègues maquilleurs.

 

     Le chapitre suivant vous exposera Comment concevoir des personnages justes et approfondira le chapitre 6 sur la préparation du maquillage.

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