Chapitre 11
Après avoir vu dans les chapitres précédents comment faire un moulage pour des petites pièces génériques à usage général et comment préparer des faux-crânes, voici maintenant ce qu'il conviendra de faire pour un artiste principal, visible en gros plan, que ce soit pour une blessure se fondant parfaitement avec la peau qui l'entourera, un (relativement) simple nez, un vieillissement plus ou moins poussé (les maquillages au seul fard ne sont plus toujours assez convaincants, surtout s'ils n'ont pas été assez soigneusement conçus et essayés, aujourd'hui particulièrement en HD), une ressemblance avec un personnage historique, un zombie ou un monstre de l'espace, ou les différents déguisements d'un même personnage.
Le principe général est le même, en changeant la sculpture, pour toute prothèse individuelle (nez, œil tuméfié, blessures diverses). Comme nous avons vu les blessures dans le chapitre précédent, je vais vous décrire schématiquement, en passant quelques détail, comment faire un nez, puisque c'est la prothèse simple la plus couramment utilisée. Je m'adresse donc ici aux futurs et jeunes réalisateurs — principalement, quoique ça puisse aussi intéresser les plus expérimentés — mais aussi, bien sûr, aux jeunes maquilleurs.
S'il n'y a qu'un pièce (par exemple un nez à transformer, ou une blessure caractéristique), on peut envisager de présenter plusieurs options. Donc autant de travail à faire après le moulage du comédien pour tirer des copies du nez, faire les sculptures, les mouler, tirer les pièces et faire un essai complet sur l'artiste pour juger du résultat fini. Cela fera du temps, de la main d'œuvre, des fournitures en plus, certes, mais il vaut mieux s'apercevoir aux essais que quelque chose ne marche pas complètement plutôt qu'au moment du tournage. Une mauvaise forme implique systématiquement une nouvelle sculpture, un nouveau moulage, de nouveaux tirages et de nouveaux essais de maquillage complets. Il vaut donc mieux les prévoir et grouper ces essais le même jour si la prothèse n'est pas trop longue à poser et démaquiller. Car il faut penser aussi au temps de démaquillage et aux meilleurs produits démaquillants à utiliser spécifiquement pour les colles et autres matériaux employés et capables de respecter la peau de l'artiste. Et ça, ça fait partie du métier d'un maquilleur spécialisé cinéma-spectacle expérimenté.
Au théâtre, heureusement, les répétitions permettent de voir les choses avant de les présenter au public, et de corriger éventuellement ce qui ne va pas, pourvu que le facteur temps (donc budget) de votre maquilleur ne soit pas trop limité.
Si l’on a besoin de défigurer un visage par une grosse cicatrice ou une brûlure importante, on moulera de même le comédien et on sculptera la déformation sur l’empreinte du visage. La sculpture approuvée sera décollée et une copie partielle de la zone concernée du visage sera faite. On y positionnera la sculpture que l’on texturera précisément comme décrit précédemment. On fera ensuite les petits murets tout autour ainsi que les dégagements et on moulera. Le moule bien pris sera ouvert le lendemain matin et nettoyé complètement. Une fois complètement sec, il sera alors prêt pour tirer des prothèses pleines en gélatine silicone ou mousse de latex.
Variante. Si la sculpture peut être mise à plat, on aura intérêt à la mouler à plat. C'est possible pour les fronts, les joues, les poches sous les yeux ; c'est délicat, voire impossible pour les parties arrondies, menton et nez, et en tout état de cause impossible en une seule pièce.
Quoique le schéma du travail soit à peu près le même, exception faite du design de la sculpture, pour un alien, un zombie ou un monstre ne nécessitant pas d'appareillage pour des cornes ou autres mécanismes de déformations, je décrirai ici principalement pour les jeunes réalisateurs comment faire un vieillissement, plus courant dans le cinéma français que les monstres, même si les maquilleurs — et, je pense, les réalisateurs et le public aussi — peuvent le regretter, mais les productions françaises de (télé)films ne nous font pas assez de demandes sérieuses dans ce sens. Il existe maintenant des méthodes utilisant des matériaux contemporains autres, résultats des recherches de maquilleurs passionnés, le plus souvent étrangers mais surtout bien payés comme il se doit (ce qui finance en même temps leurs recherches dont les futurs « clients » réalisateurs bénéficieront), qui donnent des résultats extraordinaires incomparables. Mais commençons pour les petits budgets par ce schéma classique et traditionnel qui nécessitera quand même un peu d'argent, et surtout beaucoup de temps.
Quelle que soit la matière choisie, au cinéma il faudra une prothèse (ou une série de prothèses = un masque complet) par séance de tournage car les pièces très fines seront détruites lors du collage et du démaquillage, plus une ou deux en sécurité en cas d’accident.
Pour de petites prothèses telles que blessures, poches sous les yeux ou nez partiels, on pourra utiliser de la gélatine, mais le poids de ce matériau le rend inadéquat à des grosses pièces, telles que gros doubles mentons, grands masques complets d’une seule pièce, faux ventres, etc… De plus, la forte chaleur peut la faire refondre. Il faut donc bien connaître le contexte d'utilisation pour bien choisir la matière la plus appropriée aux conditions du tournage que votre maquilleur ne pourra pas prévoir s'il n'est pas prévenu suffisamment longtemps à l'avance. De plus, arrivant au dernier moment, il n'aura peut-être pas non plus le temps de préparer tout cela correctement, ce qui peut ne pas donner à l'écran les meilleurs résultats souhaitables sans que cela puisse légitimement lui être imputé pour autant.
Vous voyez déjà l'importance du travail en amont pour une personne à maquiller. Pensez que si vous avez 6 ou 10 zombies, ce sera le même travail multiplié par six. Bien sûr, il existe d'autres techniques (avec d'autres produits — j'en reparlerai peut être prochainement) permettant de travailler directement sur le visage d'un acteur. Cela prend beaucoup de temps sur le plateau. De plus, ces produits coûtent assez cher et il en faut beaucoup, ce n'est donc pas si économique qu'il y parait, surtout si vous avez plusieurs acteurs à faire maquiller. Par ailleurs, deux exemplaires tirés d'un même moule peuvent être maquillés différemment, permettant ainsi d'employer en figuration une pièce faite pour l'acteur principal, technique courante pour les maquillages de zombies et autres monstres… Vous concevez qu'il est donc intéressant de dialoguer très en amont avec votre maquilleur.
Les premières prothèses tirées, il sera souhaitable de faire un essai sur l'acteur afin de déterminer approximativement le temps qu'il faudra sur le tournage pour maquiller et démaquiller afin d'en tenir compte pour l'établissement définitif du plan de travail. On ne peut pas changer plusieurs fois de maquillage dans la journée quand cela prendra plusieurs heures… De plus, quand il y a des coiffures particulières et des perruques à nettoyer et recoiffer pendant plusieurs jours, un vrai coiffeur est indispensable.
Les fournitures pour ces travaux dépendront bien évidemment de l’ampleur du travail à réaliser et des matériaux mis en œuvre pour y arriver ; il ne m’est donc pas possible ici de vous donner la moindre estimation sérieuse à l'avance. Mais le maquilleur que vous aurez choisi pour faire le travail pourra vous indiquer cela une fois qu’il saura ce qu’il aura à faire, donc quand vous lui aurez bien tout dit du projet pour lui permettre de faire ses calculs au plus juste sur des bases solides.
Comme je l’ai longuement expliqué dans le chapitre 8 Comment concevoir des personnages justes…, il ne le pourra jamais avant de vous avoir rencontré et discuté en profondeur du sujet. Donc, même si c’est la question qui vous taraude le plus, inutile de l’appeler en commençant par :
« — Ça me coûterait combien pour avoir X zombies avec une morsure qui arrache la peau de la victime ?…»
Ça manquerait des détails nécessaires à la réponse correcte.
Ce travail précis et minutieux n'est évidemment pas du domaine d'une esthéticienne qui n'est pas formée pour répondre à de telles demandes — et ce n'est évidemment pas péjoratif de ma part pour cette profession respectable que d'en reconnaître les frontières. Elle a par ailleurs ses attributions légitimes, mais le maquillage de ce genre est spécifiquement du domaine du maquilleur de cinéma spectacle dûment formé, selon un cursus différent des cours d'esthétique, à toutes les disciplines du maquillage professionnel. J'invite donc les jeunes réalisateurs à choisir soigneusement un réel maquilleur de spectacle confirmé pour leurs tournages afin d'éviter des déconvenues, que l'on entend parfois regretter par ceux qui n'ont pas réfléchi suffisamment à leur choix avant de commencer à tourner : les vraies économies commencent en évitant les erreurs conduisant à un gaspillage et en faisant les bons investissements.
Les techniques présentées dans les deux sections précédentes de ce chapitre sont des techniques basiques, connues depuis longtemps, avec lesquelles des générations de maquilleurs ont fait des films et donné de bons résultats sur des millions de films. Naturellement, tout évoluant (on n'en est plus à l'âge de la fabuleuse caméra BMC Mitchell non plus), les matériaux et techniques de maquillage ont évolué aussi. Dans le monde entier, on n'en est donc plus non plus à l'époque du Niveau 1, des simples plâtres pour les moules et latex pour tirer les pièces, depuis longtemps, même s'il est toujours utile de les connaître quand on a un problème inattendu à l'improviste et qu'on est loin de toute ressource moderne. De nouveaux produits sont apparus ces dernières années tant pour le moulage que pour tirer les prothèses que vous utiliserez sur vos films, un jour, si vous pouvez trouver un peu de budget. Je ne m'étends pas ici sur les formations à ces nouvelles techniques : pour cela, il y a des écoles spécifiques pour les maquilleurs ou des formations complémentaires, comme par exemple ici.
Et, dans ce domaine comme dans tous les autres, les prix des matières premières synthétiques (silicones et plastiques) ont sérieusement augmenté depuis l'époque de nos grands-papas. Il faut donc que vous sachiez que lorsque vous demandez à un jeune de faire vos effets spéciaux, il mourra d'envie d'utiliser les méthodes et matériaux contemporains s'il en a l'occasion, pour agrandir ses compétences en testant pour vous de nouveaux produits ou techniques et le résultat dépendra de son expérience en la matière. Mais il lui faudra de toute façon un peu de temps et de budget pour se perfectionner et son perfectionnement bénéficiera à votre film. Vous n'envisageriez plus de tourner normalement avec une Cameflex sans Blimp à l'époque du numérique, alors pensez à utiliser les moyens modernes de maquillage aussi.
Mais ils ne sont pas encore dans les fonds de boîte des maquilleurs récemment sortis des écoles.
Pensez aussi à bien gérer et répartir l'argent de votre budget : ne jetez pas tout votre argent par la fenêtre pour louer la dernière caméra hi-tech à la mode, ou un décor sublime, s'il ne vous reste plus rien pour les autres postes de tournage, notamment pour le maquillage ; vous voyez qu'il n'y a pas de miracle : le maquillage de votre film nécessite un vrai travail des maquilleurs et un coût important en matériel bien avant même d'arriver sur le tournage. Cela ne peut pas être improvisé à la dernière minute s'il y a plusieurs jours à raccorder. A vous donc de prévoir une ligne budgétaire « Maquillage : fournitures et participation » dans votre budget et d'y abonder les fonds suffisants, déterminés d'accord avec votre maquilleur choisi sur des critères solides pour ce genre de travail. Inutile d'annoncer que ça ne prendra que « 3 ou 4 heures de présence sur le tournage » pour justifier que vous n'avez pas pensé au maquillage et le minimiser à vos propres yeux : vous voyez bien que ce n'est pas vraiment le cas.
Soyez responsable, dans tous les sens du terme, de votre budget.
Avec ces explications générales destinées, je le rappelle, aux jeunes réalisateurs — les détails techniques plus précis sont davantage pour les maquilleurs qui pourront toujours me demander des renseignements plus spécifiques s'ils le désirent — j'espère avoir réussi à vous faire comprendre pourquoi le maquillage demande du temps de préparation et un certain budget, et qu'il occupe une place importante dans votre processus de créativité. Accordez-lui la place qu'il mérite, traitez les maquilleurs comme les autres techniciens de haut niveau de votre équipe et vous aurez sur l'écran de bons résultats qui valoriseront votre travail et votre réputation.
Je vous invite aussi à relire les chapitres précédents pour préciser certains points que je n'ai pas pu reprendre maintenant faute de place.
Dans le chapitre suivant, Stagiaire maquilleur : les "Règles du Jeu", j'indique le code de bonne conduite entre un apprenti voulant devenir maquilleur et son chef maquilleur autant qu'avec les autres membres d'une équipe de tournage.