Chapitre 1
Parler du maquillage au cinéma est un vaste sujet, si vaste qu’il faudra plusieurs chapitres rien que pour s’en faire une idée générale.
Il y a tant de choses à traiter que si on commence n’importe où, n’importe comment, on va vite s’y perdre.
Aussi je vais m’efforcer de sérier chronologiquement les choses, afin de garder une certaine cohérence, en commençant par un rapide (donc forcément approximatif et incomplet, vous voudrez bien me le pardonner) survol de l’historique du maquillage, des origines à nos jours.
Le maquillage est une des plus anciennes coutumes de l’humanité.
Depuis que l'Homme a compris qu'il pouvait dessiner et peindre, des signes distinctifs relativement bien dessinés sur la peau avec de la cendre et des colorants naturels servirent à reconnaître les membres d’un clan, puis d’une tribu.
Plus tard, une valeur spirituelle s’est ajoutée à cette fonction de relier entre eux les hommes d’un même peuple, d’une même croyance. Cette très ancienne coutume a perduré au moins jusqu’au début du XXe siècle dans certaines régions du monde, c’est dire si cela avait une importance considérable.
Outre cette valeur de signe de reconnaissance, on s’aperçut vite que cela pouvait être joli, décoratif, et peu à peu le « maquillage » évolua dans ce sens.
Les anciens Égyptiens découvrirent un médicament, composé à base de cendres de saule et d’amandes et de malachite pulvérisée qui les protégeait contre les infections dues aux moustiques, et se le mettaient dans les yeux. Ce fut l’origine du Kohl, l’écorce de saule étant riche en acide salicylique, base de l’aspirine synthétique qui ne fut découverte que dans la seconde moitié du XIXe s. On s’aperçut vite aussi de la beauté d’un œil sain ourlé de kôhl.
Maquillages ethniques intemporels
Au soleil, on bronzait fortement, mais les rougeurs dues aux coups de soleil étaient masquées de blanc en pommade. Cette technique sera reprise par les Grecs et les Romains qui découvrirent en plus le charme du rouge à joues sur le fond blanc, ainsi que la coloration des cheveux en bleu, rouge ou jaune pour les personnages en vogue (aujourd’hui on dirait in ou branchés).
Au Moyen Age, puis à la Renaissance, on utilisa encore cette technique de maquillage un peu plus discrètement, mais la pommade blanche, la céruse, faisait des ravages : à base d’oxyde de plomb, c’est un poison qui provoque le saturnisme, maladie grave pouvant entraîner la mort. Elle est maintenant formellement proscrite de la cosmétologie moderne et remplacée par des oxydes de titane ou de zinc, ce dernier ayant de plus des vertus cicatrisantes.
A l’origine du spectacle, dans les théâtres grecs, les femmes n’étaient pas autorisées à jouer et les hommes devaient interpréter les rôles féminins. Ils se mirent donc des masques en pierre sculptés à l’effigie du personnage à représenter et qui leur servaient en même temps de porte-voix. Ces masques lourds furent remplacés par des masques en bois, puis en cuir au XVe s. avec la fameuse Commœdia dell’Arte.
Quelques personnages de la Commœdia dell'Arte
Isabelle, Pantalon et Brighella
Les femmes commencèrent alors en France à jouer et les masques furent abandonnés peu à peu. Mais à la fin du XVe s. cela n’était pas encore admis partout et Shakespeare eut l’idée d’utiliser le maquillage pour remplacer les masques et permettre aux femmes de jouer des rôles de jeunes hommes, ce que l'on nommera plus tard les travestis. Bien plus pratique que les vieux masques, l’idée se répandit vite en France puis dans le reste de l’Europe puis du Monde.
Les procédés étaient alors très exagérés, mais ne choquaient pas trop dans une époque où beaucoup parmi les plus aisés, hommes et femmes, se maquillaient quotidiennement.
Depuis Shakespeare, les techniques se sont affinées en même temps que les produits.
La première marque de produits de maquillage spécialement destinée au théâtre fut fondée en 1873 à Berlin par un baryton allemand, Johan Ludwig Leichner. Ces produits et coloris ont servi depuis de base à de nombreuses autres marques qui les ont développés, affinés encore davantage au fur et à mesure de l’évolution, du théâtre au cinéma, puis du N&B à la couleur et maintenant à la Haute Définition (HD).
Produits courants Leichner
Les petits modules (Liners) servaient de fards d’appoint, comme des crayons mais pas seulement ; les gros modules (Stick Form C) sont les fonds de teints gras solides pour le théâtre. Il y avait aussi une variété plus souple en tubes comme du dentifrice pour le cinéma.
Ces produits étaient principalement utilisés au théâtre par les artistes jusque dans les années 1960, mais le cinéma s’en est aussi servi à ses débuts avec Méliès, Lon Chaney et d’autres…
Le maquillage de scène devait représenter toute la société humaine – hommes, femmes, jeunes, vieux – et bien sûr, des couleurs furent créées pour peindre ces caractères sur les artistes alors assez éloignés des premiers spectateurs. Les rajeunissements d’actrices de 40 voire 50 ans jouant les jeunes premières avec une épaisse couche de fond de teint n’étaient pas perceptibles de la salle. Pas plus que les vieillissements de jeunes gens jouant des vieillards comiques avec perruques et barbes blanches et nez à la cire. On parlait dans ce dernier cas de grimage.
La petite école du maquillage Leichner
Ce petit fascicule très intéressant expliquait aux artistes comment et avec quels produits et quelles couleurs faire leurs maquillages selon les personnages.
Dès l’origine du cinéma, Méliès fit appel au maquillage de théâtre pour ses personnages de composition. Si les frères Lumière ont inventé la caméra et le film de reportage, l’essor du cinéma de fiction est dû à Méliès qui racontait de merveilleuses histoires, et l’on peut dire que ses maquillages ont grandement contribué au développement et au succès de cette nouvelle invention que nous aimons tant depuis.
Dès lors, l’évolution du cinéma et du maquillage s’est faite en parallèle. Les pellicules N&B se sont affinées, la couleur est arrivée, puis le Technicolor, le 70mm, et dernière en date – mais provisoirement en attendant la prochaine nouveauté – la Haute Définition ou "HD".
Les fonds de teint épais et cireux ou pâteux de 1873 se sont affinés et Max Factor à Hollywood a inventé dès 1918 le fard beaucoup plus souple et plus discret, le "Flexible Greasepaint", en tube genre dentifrice, puis en 1935 le Pan-Cake (fard pressé à étaler à l’eau, en boite ronde) et en 1948 le fard-crème (appelé Pan-Stick) qui est encore la texture la plus utilisée actuellement dans presque toutes les marques professionnelles malgré l’apparition relativement récente de fards fluides (à l’eau, à base de silicone ou d’alcool) et des aérographes.
Les deux fards vedettes de Max Factor
Le Pan-Cake servait beaucoup au théâtre et principalement pour le maquillage des corps au cinéma.
Le Pan-Stick, plus fin, devint vite la préférence pour les visages.
Aujourd'hui, la HD exige des produits à la fois plus fins et plus riches en colorants – on parle alors de "haute pigmentation" –, et toutes les marques professionnelles ont développé leurs gammes de produits HD, en fards gras et fluides, pour la beauté, et certaines à l'alcool pour les effets spéciaux qui doivent impérativement tenir très longtemps. Nous aurons l’occasion de reparler de ces produits.
Les fards-crème sont maintenant souvent présentés en boite et, malgré l’apparition des fards fluides, restent toujours la texture préférée des maquilleurs classiques.
Avec l’usage de plus en plus fréquent des prothèses en mousse de latex, des produits spéciaux à base de colorants et d’huile de ricin avaient été développés dès les années 40 à Hollywood sous le nom de R.M.G.P. (Rubber Mask Grease Paint), mais sont restés « secret professionnel » très longtemps et n’ont été commercialisés en France qu’au début des années 70.
Une nouvelle variété de fards à l’alcool, liquides à l’unité pour l’aérographe ou solides en palettes, est apparue avec les prothèses en silicone peu avant l’an 2000 et s’est vite répandue parmi les maquilleurs d’effets spéciaux.
Dès Méliès, le maquillage a servi à composer l’apparence des personnages différents interprétés par les artistes, ce qui a donné naissance à l’expression maquillage de composition (= Character make-up = Littéralement Maquillage de caractère, ou de personnage) par rapport au traditionnel maquillage de beauté destiné à présenter la personne à son avantage esthétique. Pour cela, il faudra recourir à des artifices plus ou moins élaborés, mais toujours étudiés et réalisés avec soin.
Comme au théâtre, à l’époque du N&B, certaines actrices plus âgées que leur rôle exigeaient un maquillage important, couvrant, leur donnant une peau « lisse » et une fausse allure de jeunesse, et les chefs opérateurs devaient faire des miracles d’éclairage, ou d’ombrage…, pour que l’on ne voit pas leurs rides ou leurs doubles mentons. On n’en est plus là aujourd’hui, croyez-vous ? En théorie, non, bien sûr, les techniques et produits ont bien évolué, mais les principes restent les mêmes et qui sait si on ne croisera pas encore un jour un problème de ce genre à résoudre ?
Méliès faisait souvent des faux nez avec une pâte à modeler cireuse assez dure : malgré l’évolution vers plus de souplesse de telles pâtes à modeler, ces ajouts assez durs sont aujourd’hui remplacés par des prothèses en matières beaucoup plus souples qui permettent de recomposer complètement un visage : latex, mousse de latex, gélatine ou silicone.
On a toujours eu recours à des perruques et postiches au théâtre et au cinéma depuis ses débuts.
Les faux crânes de Méliès étaient d’une seule pièce en toile avec des cheveux implantés tout autour, comme on faisait à l'époque au théâtre. Cette technique est restée longtemps la seule connue et c’est encore le cliché qu’ont souvent aujourd’hui ceux qui ne connaissent pas bien le sujet. En effet, le latex d’abord puis le plastique ont depuis longtemps remplacé la toile pour simuler un crâne chauve, mais la chevelure n’y est plus attachée systématiquement car les calottes sont à usage unique pour l’écran de cinéma et doivent être changées à chaque fois – comme toutes les prothèses d’ailleurs – car le décollage détruit les bordures qui doivent être très fines pour être invisibles après collage, et souvent la pièce elle-même. Une perruque complète clairsemée ou partielle est alors posée par-dessus la calotte maquillée.
Si on utilise encore de nos jours les mêmes idées et principes pour composer le look de chaque personnage dans un film de fiction, les techniques d’artefacts ont bien évolué et nous en reparlerons prochainement.
Certains merveilleux films n’auraient pas pu être réalisés sans le maquillage, tant celui-ci a une importance primordiale pour raconter l’histoire.
Par exemple, mais il y en a des milliers d'autres :
Quelques maquillages d'anthologie
A: 1923. Quasimodo, Lon Chaney auto-maquillage à la pâte à modeler.
B: 1939. Quasimodo, Charles Laughton : Un des tout premiers maquillages en mousse de latex conçu par Perc Westmore et George Bau.
C:1946. La Bête, Jean Marais, maquillage Hagop Arakélian, masque cheveux implantés sur tulle en plusieurs pièces.
D. Le Bossu, Jean Marais, Maquillage par Alex Marcus, faux crâne latex, nez en mousse.
E. Fantômas, Jean Marais, Cagoule latex par Gérard Cogan, maquillage René Daudin.
F. Elephant Man, John Hurt, maquillage mousse de latex conçu par Christopher Tucker.
— Les films de Méliès, les différentes versions de Notre Dame de Paris, Frankenstein, Dracula, Le Fantôme de l’Opéra, La Belle et la Bête, La Momie, Fu-Manchu, Le Bossu, Fantômas, Arsène Lupin ; ou encore Le Dernier de la Liste, Victor-Victoria, Le Limier, Tootsie, Little Big Man, Amadeus, Elephant Man, La Môme, et les fameuses séries de La Planète des Singes, la saga Star Trek, Mission Impossible, Le Labyrinthe de Pan, Avatar, sans oublier Le Seigneur des Anneaux et tant d’autres…
Ces grands films utilisent les spectaculaires maquillages de composition qui font la gloire du cinéma en général et du maquillage en particulier.
Ces maquillages importants doivent être préparés longtemps à l’avance en laboratoire par une équipe de professionnels hautement qualifiés et nécessitent un budget conséquent qui doit être prévu sérieusement sous peine d’invalider le projet.
Pour autant, on ne doit pas penser que le rôle du maquillage soit réservé à ces chefs-d’œuvre et à des travaux de cette ampleur. De nombreux films ont besoin d’un maquillage tout aussi indispensable au récit mais moins voyant, et font appel à de petits effets simples tels que larmes, sueur, œil au beurre noir et autres hématomes, petites blessures, etc… Ces effets peuvent le plus souvent être faits sur place en quelques minutes, s’ils ont été réfléchis et préparés – et même essayés – suffisamment longtemps à l’avance et l’achat des fournitures appropriées anticipé. Il faut néanmoins un personnel hautement qualifié et déjà expérimenté.
La majorité des personnages n’étant pas censés être maquillés, il faudra que le maquillage paraisse naturel. Cela ne veut pas dire qu’il ne devra pas y en avoir, donc pas besoin de le préparer, mais qu’il ne devra pas être perceptible en tant que tel. C’est le maquillage qui permettra de raccorder l’aspect d’un personnage d’une fois à l’autre, surtout à distance, et évitera qu’un teint clair devienne subitement bronzé ou inversement, ou qu’une coulure de sang soit moins longue après qu’avant… C’est donc encore une autre préparation aussi utile que précédemment, même si elle peut être moins longue. A ce propos, il faudra aussi compter le temps de fabrication des barbes postiches et perruques éventuelles avant de commencer à tourner. Comme on tient compte du temps de fabrication des décors et des costumes.
La beauté et le maquillage dit artistique, tel que la peinture sur peau (le fameux body-painting), font l’éclat de la mode, de la photo et de l’événementiel. Cette beauté esthétique exagérée paraîtra souvent artificielle, mais passera dans ce contexte sans problème, alors que ce sera plus rarement employé au cinéma.
Comme on l’a vu ci-dessus, le maquillage est essentiel au récit d’une histoire. Il est donc indispensable d’y accorder autant d’importance qu’à la caméra, au décor, au son, au costume, à la musique, et aux répétitions. Les essais maquillage font partie d’une bonne préparation.
Si vous accordez au maquillage et aux maquilleurs la place que chacun mérite vous aurez une belle image et votre film, crédible visuellement, se vendra bien.
Dans un prochain chapitre, je développerai à l’intention des jeunes réalisateurs les différents types de maquillages, et vous verrez comment travailler en équipe avec ce personnage si méconnu : le maquilleur, votre maquilleur, un collaborateur aussi discret que précieux pour votre film si vous ne l’oubliez pas.
A l’intention des curieux du maquillage, professionnels ou amateurs, je développerai les produits et les techniques, les plus récentes autant que celles qui quoique anciennes dépannent toujours en cas de pépin.
Dans le chapitre suivant, je vous exposerai qui sont les maquilleurs au cinéma, qui est qui et qui fait quoi dans une équipe maquillage au sein d'une équipe de production.
Je vous parlerai ensuite des différents maquillages qu'on peut exiger d'un maquilleur pour le considérer vraiment comme un professionnel du cinéma à l'échelon standard international (ce que les américains oscarisables et les autres maquilleurs internationaux de haut niveau (Bafta, Emmy, Globe Award, en espérant pouvoir un jour prochain ajouter César et Molière…) m'ont dit considérer comme un bagage, pas seulement technique, normal minimum indispensable), comment devenir maquilleur (En 1e partie, quel est notre statut actuel en France, l'accès au métier et les différentes formations, les cursus des écoles, un aperçu des bases minimum à maîtriser, puis dans la 2e partie les différentes démarches actives à faire pour trouver un premier travail qui permettra de poursuivre), Comment préparer un film (principalement pour les jeunes réalisateurs ou photographes qui n'ont pas, peu ou mal entendu parler du maquillage dans leur école — si, si, hélas, il peut encore y en avoir… — mais aussi pour que les futurs maquilleurs sachent quoi et comment préparer avant un tournage et comment en discuter avec le réalisateur et le directeur de production), Comment concevoir des personnages justes, ce qui n'est pas aussi simple qu'on le croit généralement, et Le prix du maquillage (le coût du maquillage comment faire un budget minimum réaliste en sachant de quoi on parle, tout y est décrit précisément, ainsi qu'un aperçu de la question du bénévolat) ; comment faire des blessures et des faux crânes, puis comment faire une prothèse ou un vieillissement simples (un minimum pour exposer les principes de base à la nouvelle génération de réalisateurs, mais les grands films n'en sont déjà plus là. Nous n'oublierons pas pour autant les petits budgets (théâtre et cinéma) avec Comment faire un faux-nez à petit budget. Ces explications suffiront toutefois pour donner un résultat avec un minimum de qualité professionnelle), et pour l'étudiant devenu enfin stagiaire, les règles du jeu de l'éthique des rôle et comportement du jeune stagiaire maquilleur sur un film afin qu'il/elle se comporte de façon professionnelle et utile à l'équipe dans laquelle il/elle s'insèrera et puisse ainsi être réengagé.
Un long chapitre tout entier vous présentera les Fondateurs du Maquillage de Cinéma depuis son origine à Hollywood et continuera celui-ci : il est bon de savoir qui a constitué ce métier dans le quel vous voulez entrer et les efforts qu'ils ont fait pour que VOUS le trouviez comme il est devenu aujour'hui.
Bonnes lectures…