Chapitre 9
Quand j'ai commencé à publier les chroniques sur le maquillage au cinéma, la base de cet ouvrage, j'ai reçu de nombreuses demandes de précisions auxquelles j'ai répondu dans la mesure du possible directement ou en complétant les articles.
Pourtant, il semble que certains jeunes réalisateurs ne comprennent toujours pas pourquoi il faut autant de temps et un peu de budget pour faire un maquillage différent du banal maquillage de ville pour leurs films.
Les moules les plus simples
En haut, moule en plâtre vert, vide ;
En bas, moules en silicone transparent :
Vide et avec pièce prête au démoulage.
La pièce collée et maquillée
Exemple d’un impact encapsulé – nous verrons plus loin ce que cela signifie – tiré d'un moule vu ci-contre.
Mon but, ici, étant d'exposer à ces jeunes réalisateurs débutants ce qu'est le maquillage au cinéma, sa vraie place, sur le tournage et dans la préparation, afin que ce métier reprenne sa juste place importante et normale dans la conception de leur projet, je vais donc décrire dans ce chapitre, aussi simplement que possible, le travail que représente ce qu’ils appellent encore parfois une petite blessure ou un vieillissement léger dans l'après prochain. Ils verront alors pourquoi et comment les maquilleurs sont utiles sur un tournage. J'espère ainsi qu’ils comprendront pourquoi il ne faut pas ingénument les convoquer à la dernière minute sans leur avoir dit auparavant ce qu'ils auront à faire, mais les associer concrètement le plus tôt possible à leur projet.
Je ne vais pas ici vous exposer comment faire les effets simples avec le matériel de sa boite, cela fait en principe partie du cours technique des maquilleurs (cf Les différents types de maquillage au cinéma), mais vous décrire différents processus simples et basiques pour obtenir certains effets à prothèses. Nous résumerons ensuite ce que cela implique pour le ou les maquilleur(s), le ou les coiffeur(s), les artistes, le réalisateur, les assistants réalisateurs, et le producteur (ou directeur de production éventuel), chacun pour sa part.
Vous pourrez alors vous rendre compte de ce qu'est vraiment ce que certains dans l'ignorance appellent un petit rien qui ne prendra pas plus d'une demi-journée de tournage comme on le voit trop souvent sur les annonces insalubres qui polluent le net et le métier en général.
Il ne faut pas se fier aux apparences, surtout quand il est question de maquillage ; ce n’est pas parce que les maquilleurs ont l’air de ne rien faire sur le plateau qu’ils ne font vraiment pas grand chose. En réalité, ils surveillent l’évolution et l’entretien de leur travail, en attendant attentivement le bon moment pour intervenir : leur travail s’effectue principalement avant la journée de tournage, voire avant le début des prises de vues.
Nous avons vu qu’il était possible d’improviser de très belles blessures sur le plateau avec le matériel d’une trousse bien remplie, mais elles ne peuvent servir qu’une fois et ne sont pas facilement reproductibles s’il faut un autre jour de tournage, surtout non consécutif. Nous allons voir maintenant comment faire des pièces qui, même si elles ne peuvent encore servir qu’une fois, seront reproductibles, c’est à dire faites dans un moule dont il sera aisé de tirer autant de copies qu’il faudra pour assurer une continuité satisfaisante.
Commençons par ces petites prothèses génériques en vrac que chaque maquilleur moderne doit être capable de préparer avant le tournage et destinées à être utilisées sur n'importe qui, n'importe où, en figuration et parfois sur les premiers plans. Il faudra s'y prendre plusieurs jours à l'avance et disposer de fournitures fraîches pour tirer les prothèses sans risques. Nous verrons ensuite comment procéder pour les rôles principaux afin que la prothèse soit imperceptible.
Il faudra déterminer dans quelle matière on va faire les prothèses afin de décider de la façon de faire les moules et les matériaux les plus appropriés.
Le choix de la matière de tirage des pièces sera le même et essentiel pour tous les types de prothèses que nous verrons. Il est un des éléments déterminants du coût global. Voyez les prix des différentes matières avec votre maquilleur ou dans les magasins spécialisés.
Il y a, comme toujours, plusieurs façons d'obtenir un résultat approprié selon les budgets, depuis le Niveau 1, la simple coquille (prothèse creuse obtenue rapidement à peu de frais en badigeonnant soigneusement l'intérieur d'un négatif en plâtre) — et c'est souvent une bonne roue de secours toujours utile quand on sait comment faire — jusqu'aux différentes prothèses pleines faites en remplissant un double moule en silicone ou en résine et fibres de verre avec une matière correspondant au besoin et au budget, gélatine, gel de silicone ou mousse de latex. Sur un film à budget normal, les techniques contemporaines assez élaborées — et donc aussi un peu plus chères qu'un simple moule en plâtre — donnent d'excellents résultats indétectables.
Commençons par une initiation au travail de moulage avec les choses les plus simples : les blessures, d'abord pour la figuration, puis pour les premiers plans.
Moules en plâtre
Moules en silicone
Ce système en deux parties, inutile pour tirer du latex, du plastique, de la gélatine ou du silicone « encapsulé », l’est pour tirer des prothèses en mousse de latex afin de faire une grosse série ou pour profiter à peu de frais d’un excédent de mousse lors du tirage d’autres pièces. Cela permet ainsi de constituer un stock de blessures toujours disponibles et utilisables rapidement.
Dans les deux cas, on peut sculpter au choix une ou plusieurs blessures sur le plan de base selon les besoins. Bien qu'il existe des méthodes plus complexes donnant de meilleurs résultats — plus longues et plus onéreuses en matière première, aussi n'entrent-elles pas dans le cadre de ce chapitre, mais elles donnent des résultats encore meilleurs — il s'agit là d'un procédé basique classique simple que tout le monde peut réaliser avec un peu de soin et à relativement peu de frais en un ou deux jours pour de petites pièces, ou en plusieurs jours pour des pièces plus importantes (dos et membres fouettés, par exemple).
Pour faire quelques petits moules de ce genre, les fournitures aussi sont simples :
1 kg de silicone suffira largement si vous préférez cette technique plus délicate pour un petit nombre de petites prothèses ou une seule plus grande. Les surplus éventuels, non mélangés, pourront toujours vous resservir peu après.
Quelques colorants appropriés à la matière employée compléteront utilement cet équipement basique avec les quelques outils de sculpture indispensables.
Naturellement, il faut disposer de l'outillage adéquat et de suffisamment de place dans son local.
Si le technicien n’a pas tout sous la main au moment opportun, il lui faudra bien compter une bonne journée pour faire les courses avant de commencer à travailler car tout cet équipement ne se trouve pas forcément réuni au même endroit.
Avant de couler la prothèse, il est recommandé d'isoler le moule, au moins avec de la vaseline, du talc ou tout autre isolant approprié, mais ceci n’est pas utile pour tirer du latex dans un moule en plâtre, sauf si le séchage n’est pas encore complet.
Chaque couche, séchée au séchoir froid ou tiède, paraîtra sèche assez rapidement, mais si démoulé trop tôt, le latex continuera à rétrécir jusqu’à ce que l’humidité résiduelle ait complètement disparu quelques heures plus tard. Talquer copieusement pour démouler avant de soulever un endroit avec une épingle et une pince à épiler puis de glisser au pinceau de la poudre par dessous pour éviter au latex de se recoller sur lui-même.
Nettoyer la surface extérieure, celle qui était en contact avec le plâtre et le démoulant éventuel, avec un tampon d’alcool.
Entre la préparation des moules et les différentes mises en œuvre des produits, le tirage des prothèses prendra entre 2 et 6 à 8 heures par jeu de pièces (vous pouvez évidemment tirer plusieurs pièces en même temps) selon le matériau choisi. Votre maquilleur pourra vous indiquer les prix des différentes matières premières, leurs avantages et inconvénients respectifs, et leurs délais de mise en œuvre. Il sera aussi possible pour un masque complexe de pré-maquiller les pièces avant de faire le maquillage sur l’acteur ce qui entrainera un appréciable gain de temps. Mais vous voyez déjà que ça ne se fait pas en claquant des doigts à la dernière minute.
L'avantage de faire des pièces moulées, c'est que vous pouvez faire plusieurs pièces identiques pour raccorder précisément sur plusieurs jours de tournage ; les pièces seront plus souples, élastiques et plus faciles à entretenir qu'un travail direct à la pâte à modeler classique improvisé le jour même. Dans ce cas, la quantité de matériau livrée dans le simple kit de base ne sera peut-être plus suffisante, et il faudra acheter des conditionnements plus importants.
Il existe maintenant des silicones à modeler à 2 ou 3 composants à mélanger sur une petite palette avant de sculpter sur la peau. Souples et élastiques, ils permettent de faire certains travaux pour une seule journée. Ces produits sont relativement chers et nécessitent presque systématiquement des fards spéciaux à l'alcool également assez chers. Ce n'est donc pas forcément la meilleure solution pour un film vraiment sans budget, si votre maquilleur n'en dispose pas encore. En revanche, ces produits silicone peuvent servir à faire des prothèses encapsulées.
S’il y a besoin dans le film de choses simples de cette nature, lors du choix de leur maquilleur, le réalisateur ou le directeur de production, s’ils sont vraiment économes, auront donc intérêt à choisir celui qui aura réellement l’expérience de tout faire, donc en particulier ce genre de travail, plutôt qu’une personne qui ne ferait que le maquillage naturel-beauté banal : cela leur évitera de devoir payer un maquilleur spécialisé en plus juste pour une petite blessure de cette sorte. C’est pourquoi j’invite tous les maquilleurs, débutants ou confirmés, qui ne connaîtraient pas suffisamment cette technique pour la pratiquer aisément à perfectionner leurs connaissances dans des formations spécialisés.
Avant d'aborder les choses plus compliquées, je vous propose de voir comment faire un objet encore inconnu de la plupart des maquilleurs français jusque dans les années 60, voire 70, et devenu depuis d'un usage très courant : les calottes, appelées aussi souvent faux-crânes.