Chapitre 6
Après quelques années de pratique, un professionnel (réalisateur, producteur, ou assistant réalisateur) est bien au courant de ce qu’implique la préparation et la réalisation d’un effet de maquillage (ou plusieurs) en termes de délais, de personnel et de fournitures, et donc de coûts.
Il n’en est pas de même pour les jeunes en fin d’études, puisqu’on ne leur enseignait encore rien en 2009, et si peu en 2018 lors de la révision de ce chapitre, dans les écoles de cinéma françaises à ce sujet, ni, bien évidemment, pour les films de cinéphiles amateurs, si passionnés soient-ils.
Je vais donc m’adresser tout particulièrement dans ce chapitre à ces jeunes aspirants réalisateurs passionnés — mais des professionnels plus chevronnés pourront aussi y trouver des choses utiles — leur dévoiler le revers de la médaille, ce que d’habitude on ne voit pas et qui demeure ignoré dans la plupart des cas, mais qui ne peut pas ne pas exister avant un tournage. J’espère que cela permettra à ces jeunes réalisateurs d’y penser sérieusement avant de demander un miracle improbable à leur maquilleur pris au hasard à la dernière minute, comme on le demande encore trop souvent par méconnaissance, voire ignorance, du sujet.
La préparation du maquillage d'un film commence naturellement et logiquement par le choix judicieux, donc bien réfléchi, d'un chef maquilleur responsable vis à vis de la production.
Trop de jeunes réalisateurs, ignorant encore de ce qu'est réellement le maquillage, engagent une maquilleuse à l'aveuglette, trop souvent à la dernière minute, parce qu'elle accepte de travailler bénévolement, mais ils ne prennent pas le temps de la rencontrer avant le tournage pour lui parler du travail à faire (mais savent-ils eux-même ce qu’ils attendent précisément ? Bien souvent, non) et vérifier la réalité de sa compétence. Souvent, ils engagent ainsi une personne non qualifiée pour ensuite le regretter amèrement et se plaindre que les maquilleurs sont mauvais. Cette généralisation de la critique est d'autant plus injuste et absurde qu'ils sont les seuls responsables de leur mauvais choix.
Non, ça ne peut évidemment pas marcher comme ça !
Pour vous éviter cette surprise, mauvaise pour vous comme pour les maquilleurs dont vous vous plaindriez à tort, il vous faut chercher parmi les maquilleurs expérimentés celui à qui vous allez confier votre film, lui exposer vos besoins (voir ci-après), lui accorder une enveloppe budgétaire à gérer, lui laisser ensuite constituer son équipe si besoin est, et éventuellement prendre un stagiaire à former pour l'aider. Vous le laisserez vous faire des propositions et différents essais, car on ne peut pas systématiquement réussir un chef d'œuvre du premier coup, surtout avec de petits moyens.
Sachez tout de suite que :
Donc, si vous ne connaissez pas encore de chef maquilleur, vous devrez chercher dans les annuaires professionnels ou passer une annonce, à Pôle Emploi ou sur Internet, comparer les différents CV, voir les différents sites ou books et convoquer celui qui vous paraîtra le plus approprié. Une fois votre choix fait, inutile de courir tout Paris pour voir s'il y a moins cher : la compétence découle de l'expérience, et l'expérience se paie car elle vous garantit un résultat. Vous ne voulez pas, comme ça s'est hélas ! déjà vu, jeter votre film à la poubelle une fois tourné parce que vous aurez fait des économies de bouts de chandelle sur ce point.
Pour apprécier son expérience en toute connaissance de cause et éviter de vous tromper de maquilleur, voyez chap. 3 Les différents types de maquillage au cinéma pour savoir quoi lui demander et quoi en attendre précisément.
Bien sûr, un élève d'une école de maquillage, s'il n'est pas encore suffisamment instruit techniquement pour faire votre film comme responsable — et c'est normal puisqu'à l'école il apprend encore son métier —, pourra être un bon stagiaire sous la direction de votre chef maquilleur et cela renforcera d'autant sa formation (Cf. chapitre 7 Le prix du maquillage au cinéma). De cette façon votre film se fera bien et les jeunes seront bien formés.
La première chose à faire quand on est réalisateur, c’est de prévenir le plus tôt possible le maquilleur de vos désirs et besoins. Les délais de préparation ne sont pas les mêmes selon le travail à effectuer, les fournitures non plus, donc le budget et les résultats.
En lui communiquant le scénario et le plan de travail, vous devrez lui indiquer aussi précisément que possible :
Naturellement, toutes ces rubriques ne correspondront pas forcément à votre projet, mais vous, réalisateur, vous devrez lui communiquer toutes celles qui seront pertinentes, et vous, maquilleur, vous devrez lui demander le maximum, même si elles ne sont pas répertoriées ci-dessus, dès le début de la mise en préparation. Ce n’est qu’après avoir eu et réfléchi sur ces informations qu’un maquilleur pourra établir et vous transmettre non un devis ferme et définitif, mais une estimation approximative des coûts, qui s’affinera au fil des événements.
Après ces séances préliminaires concernant l’élaboration des personnages, un découpage technique sera élaboré par la mise en scène pour indiquer le déroulement du tournage des séquences, la scripte sera présente à ce moment-là. Elle fera de son côté un séquencier de continuité qui devra compléter celui que le maquilleur va élaborer de son côté.
Mais qu’est-ce que la continuité ?
En photo, le maquillage s’arrête le plus souvent dès qu’on l’a fini : on peut le photographier aussitôt et le démaquiller quelques instants plus tard. Il ne dure pas, ou pas longtemps.
Au théâtre, dans l'ensemble, le maquillage ne bouge pas du début à la fin de la pièce et il n’est généralement pas important qu’il soit reproduit exactement à l’identique d’une fois sur l’autre.
Au cinéma (téléfilms et séries comprises), il est fréquent de tourner une même séquence de quelques minutes en plusieurs jours, pas nécessairement consécutifs. Le maquillage doit alors tenir toute la journée chaque jour, parfois pendant toute la durée de l’histoire, et donc être refait à l'identique pendant plusieurs semaines de tournage consécutives. Le plus souvent, il évolue pendant le film selon les séquences, mais ce sera toujours le même personnage. Il faudra donc toujours le reconnaître malgré les changements divers qui pourront se produire.
Un film raconte une histoire dans sa continuité, donc dans sa chronologie. Les choses doivent être à leur place en début de séquence par rapport à la fin de la séquence précédente, même si celle-ci n’a pas encore été tournée. C’est le métier de la scripte de veiller à cette chronologie et on a toujours avantage à être d’accord avec elle sur ces questions-là.
On pourra par exemple avoir un début calme dans un intérieur quelconque (quelle que soit l’époque) où tout le monde, hommes et femmes, sera propre et normal. Dans une séquence suivante, un mariage ou une soirée chic, les gens seront bien toilettés et mis en valeur par le maquillage, la coiffure et les habits (les fameux H.M.C.). Jusque là, rien n’a notablement évolué au cours des séquences.
Mais dans une séquence suivante, on pourra avoir une fusillade et les héros seront blessés : il faudra alors s’assurer de l’évolution de leurs blessures, de leurs chevelures, de leur sueur ou de leurs larmes (ha! les larmes !… quelle tuile quand les artistes les enlèvent entre les prises !…), de la poussière, etc… afin que le montage ne soit pas impossible : la trainée de sang ne doit pas être plus longue dans le plan 3/6 que dans le plan 2/6, elle doit être dans le sens de la pesanteur par rapport au plan en cours et non par rapport au siège dans la loge maquillage…, les mèches de cheveux doivent bouger dans un ordre chronologique elles aussi… bref, il ne suffira pas de faire le maquillage le matin, il faudra le surveiller continuellement dans la journée. Des photos devront être prises à la fin de chaque prise afin de bien savoir où se trouvait le sang, les gouttes de sueur, la ou les larmes ou les mèches de cheveux pour pouvoir les remettre dans ces positions précises pour le début de la séquence suivante. Ces photos serviront à replacer les choses (blessures, coulées de sang ou de larmes ; rouge à lèvres ; postiches, etc…) au même bon endroit d’une fois sur l’autre. Ça fait partie intégrante du travail d’un maquilleur sur le plateau, mais ça ne peut évidemment pas s’apprendre à l’école.
Mais, en attendant, il faut se remettre au départ, c’est à dire comme on était au début de ce plan pour faire une autre prise… qui ne peut pas commencer dans l’état final de la prise précédente, sinon ce serait impossible à monter, il manquerait une étape. On dit alors qu’on se met raccord avec la fin de la séquence précédente.
C’est dans ces occasions que le travail avec la scripte est le plus efficace, une aide précieuse et indispensable.
En principe, la scripte aura noté dans un séquencier parallèle au découpage technique comment le réalisateur a vu les choses dans son esprit et prévoit de les tourner. C’est alors aux maquilleurs et coiffeurs qui auront aussi fait leur propre préparation pour ce qui les concerne, de faire ce qu’il faut pour que les choses suivent leur cours normal.
Ce n’est pas toujours facile, mais si chacun s’organise en conséquence, ça se passe bien, même si c’est parfois un peu tendu.
J’ai décrit là un cas relativement simple de continuité, mais il y en a beaucoup d’autres, lors des vieillissements pour une saga, par exemple, ou de scènes de combats, de guerre, ou de catastrophes. Et pensez aux séquences de cascades tournées sans les acteurs : il faudra que l’acteur ait la tête du personnage au début et à la fin du combat, donc tout ce qui se sera passé entre ces deux moments doit être prévu minutieusement et noté tant par le maquilleur que par la scripte.
Une partie de ce travail aura déjà été anticipée par le maquilleur lors de la conception de ses maquillages avant le début des prises de vues (cf. chap. 8) et il se sera concerté avec la scripte avant le tournage pour s’assurer que tout va bien. De même pour le coiffeur.
La technologie moderne nous propose un logiciel (en anglais) à utiliser sur appareils mobiles (tablettes et smartphones) bien utile pour garder tous ses documents photographiques sous la main dans son téléphone portable, mais il vaut tout de même environ 60 € en France.
Nous avons vu jusqu’ici comment un réalisateur débutant doit se soucier du maquillage dès ses premiers films. Voyons maintenant comment le maquilleur doit réagir quand on l’appelle pour un projet.
Un réalisateur qui a entendu parler de vous, ou qui vous connait déjà, veut vous confier les maquillages de son film. Vous vous rencontrez, il vous expose le sujet plus ou moins clairement et veut savoir tout de suite si c’est possible et combien ça va lui coûter. Bien sûr, vous ne pouvez pas lui répondre car vous ne connaissez pas encore les détails du projet aussi bien que lui. Vous devez donc lui poser quelques questions avant de repartir dépouiller le scénario chez vous. Les questions sont généralement celles listées dans la section De quoi est-il besoin ? ci-dessus. Je ne les répèterai donc pas, mais vous invite à les lire si vous aviez sauté le paragraphe.
Engagé pour maquiller tout le film, vous lisez le scénario et relevez tous les éléments concernant votre responsabilité : l’époque, les personnages, les éventuels postiches, perruques, prothèses, vieillissements progressifs ou rajeunissements, blessures, etc… vous vous faites une idée du travail à effectuer : le ferez-vous seul pour un petit film ou avec une équipe si c’est un gros projet ? Vous vous faites aussi une idée approximative des fournitures à prévoir, et s’il vous faudra du temps et de la préparation avant le tournage ou si vous commencez presque directement. C’est là que vous avez un rendez-vous avec le réalisateur et le directeur de production.
Si vous ne devez vous occuper que d'un seul personnage, vous faites exactement la même chose, mais seulement en ce qui le concerne.
Le chapitre 8 Comment concevoir des personnages justes vous précisera cette démarche en détail, aussi je ne m’y arrête pas ici trop longtemps, et nous reprenons le fil de l’exposé aux réalisateurs débutants, mais les jeunes maquilleurs peuvent bien sûr en profiter aussi.
Il semble utile de préciser dès maintenant comment procéder pour commander perruques et postiches.
Pour un personnage moderne, les perruques complètes seront assez courantes chez les dames, mais plus rares pour les hommes sauf pour des déguisements où elles seront alors nécessaires.
Mais, on aura souvent recours à un toupet pour recouvrir la calvitie d’un premier plan homme et le rajeunir plus ou moins. Un toupet est fait sur mesure pour l’acteur en fonction de ce que l’on veut : rajeunir plus ou moins le personnage ou le comédien. Courant chez les artistes à partir de 45 ans quand le dessus commence à trop se dégarnir.
Pour un personnage d’époque, il sera très souvent nécessaire de recourir à des perruques et postiches, et quasiment obligatoire dans le cas d’une ressemblance.
Une fois la perruque déterminée d’après des documents d’époque, tableaux, photos ou croquis, le maquilleur et le coiffeur (surtout pour une femme) se rendront sur rendez-vous chez le perruquier choisi en accord avec la production accompagnés du ou des artistes concernés pour des prises de mesures précises et professionnelles.
Des essais seront alors faits pour voir si quelque chose correspond à la demande dans le stock du perruquier.
Dans ce cas heureux, le perruquier mettra la perruque choisie, ou éventuellement plusieurs, de côté et la préparera pour le tournage.
Dans le cas contraire, un moule en plastique et papier collant sera pris de la tête complète et le perruquier fera la perruque entièrement sur mesure. Cette perruque pourra être achetée ou louée en première location pour la durée du film et rendue au perruquier à la fin du tournage. C’est souvent le cas, pour de courts tournages (un mois ou moins). Ce n’est pas justifié pour un long tournage de plusieurs mois où l’achat est alors plus économique. La perruque achetée restera alors la propriété de la production ou du coiffeur ou du maquilleur si la production est d’accord et n’en a pas besoin pour un autre épisode avec les mêmes acteurs.
Dans le cas où l’on trouverait dans le stock du perruquier une perruque convenable pour le personnage, il conviendra souvent, pour les premiers et seconds plans, de refaire les fronts pour travailler avec du matériel propre donc invisible. Un moule sera alors fait de la zone nécessaire et le perruquier aménagera la perruque en remplaçant le front usagé par un front neuf. Cette opération est moins onéreuse et plus rapide, naturellement, que la façon d’une perruque entière. La perruque pourra alors être achetée ou louée pour un prix à peine supérieur à la simple location sans réparation.
Si les postiches faciaux pourront être commandés en vrac pour la figuration, ils seront faits sur mesure pour les premiers plans, voire pour certains seconds rôles importants ou des silhouettes remarquables. Dans ce cas, le perruquier prendra un moule, en plastique et papier collant, comme pour le front, du menton du ou des acteurs, ainsi que pour la moustache, les favoris ou les sourcils. Ces empreintes serviront de base pour faire les postiches qui iront bien aux bons endroits. Comme le maquilleur arrivera sur le tournage avec son propre stock de postiches qu’il utilisera aussi dans l’intérêt de la production, il est d’usage courant que les postiches restants lui reviennent à la fin du tournage, sauf si un artiste a fourni ses postiches personnels, toupets, barbe ou moustache.
Bien entendu, la couleur des cheveux de la perruque et/ou des postiches sera étudiée en fonction du personnage à représenter ou de la couleur des cheveux de l’artiste s’il n’y a pas besoin de perruque.
Il conviendra que les artistes reviennent pour essayer et ajuster leurs perruques sur mesure. Généralement 1 ou 2 essayages, rarement 3, suffisent mais certaines perruques particulières peuvent en nécessiter davantage.
Le perruquier fournira généralement les perruques prêtes au premier emploi, mais le coiffeur du film devra en assurer l’entretien, nettoyage et remise en plis, à chaque fois que cela sera nécessaire pendant le tournage.
Les postiches faciaux seront généralement dégrossis par le perruquier, mais il faudra souvent en ajuster la coiffure avant le tournage. C’est le maquilleur qui les posera, fera les éventuels raccords au poil à poil, notamment à la commissure des lèvres, avant de les rectifier après la coiffure ou la pose de la perruque par le coiffeur et il les entretiendra, nettoyage et recoiffage/frisage, après chaque séance de tournage. Sur certains films au stylisme particulier, les postiches pourront être livrés bruts puis taillés et coiffés par les maquilleurs, surtout s’il y a beaucoup de figuration : on rentabilisera ainsi mieux le temps de présence des maquilleurs déjà présents sur le tournage.
Pour refaire la barbe moderne d’un acteur prématurément rasé, le même travail sur mesure sera indispensable s’il y a plusieurs jours de tournage à faire ou refaire. Pour une seule journée, le maquilleur doit être capable de faire la barbe au poil-à-poil directement sur l’acteur en cas d’urgence (voir plus loin sur ce point).
Tout postiche censé être naturel sera implanté à la main sur un tulle invisible, tandis que les perruques censées être des perruques comme les perruques de Cour (royales et surtout de Justice anglo-saxonnes) pourront être faites avec front, tulle et cheveux fins ou sans ce fameux front, comme les perruques de ville d’aujourd’hui. Mais ce sera alors souvent du synthétique et visible comme tel.
Compte tenu du temps de fabrication et de coiffure, et des autres clients du perruquier, il faudra prévoir au minimum avant votre tournage :
Chaque nouveau projet est différent des précédents, quelle que soit l'expérience des professionnels, parce que les demandes sont toujours plus ou moins différentes et que les manières de traiter les problèmes évoluent au fil du temps. Inutile donc de commencer par demander «— Combien ça va me coûter pour faire un effet comme ça et ce sera prêt dans combien de temps ? », tant que vous n'aurez pas exposé clairement vos souhaits.
Dans les jours ou les semaines précédant un tournage, en plus du temps passé à lire le scénario et faire le dépouillement des effets, du travail intellectuel de conception des maquillages à réaliser, la durée de préparation variera avec le projet à traiter, mais il y en aura toujours systématiquement un minimum. Pour un travail sérieux, raisonné, il faut compter de 2 jours pour une tournage banal sans effet particulier, à au moins une semaine dès qu'on a des choses moins banales et plus si le projet est important.
A ce sujet, il est extrêmement indélicat, surtout pour des choses un peu compliquées impliquant un long travail, de demander à plusieurs personnes de faire un devis pour votre film. Tous passeront du temps et travailleront pour vous, mais un seul sera retenu tandis que les autres auront travaillé pour rien et perdu leur temps. Vous devriez prévoir au moins d'indemniser ceux qui vous consacrent du temps, même si vous ne faites pas affaire avec eux pour des raisons qui vous regardent seul, vous allez maintenant voir pourquoi. Après tout, on paie bien pour le devis d'une réparation d'électro-ménager ou d'un chantier du bâtiment.
Voici quelques exemples, indépendants ou simultanés selon les films, du travail de préparation accompli par un maquilleur avant tournage.
Séance simple, maquillages normaux
Les maquilleurs ont tous généralement un fond de boite leur permettant de faire un maquillage normal pour femme et homme. Il conviendra de préciser si vos acteurs ont la peau claire ou colorée, afin d’être sûr d’avoir les fonds de teints correspondants, et au besoin aller les acheter. S’il y a lieu de prévoir des faux cils ou des ongles, il faudra prendre le temps d’en acheter des neufs pour chaque artiste pour d’évidentes raisons d’hygiène. De plus, les consommables indispensables (éponges, coton, kleenex, lingettes démaquillantes, laque…) doivent être renouvelés de frais.
Il y a donc déjà au moins une journée ouvrable à prévoir de préparation intellectuelle et de shopping avant chaque tournage, si simple et si court soit-il, aussi ne vous y prenez pas à la dernière minute pour engager votre maquilleur ou — pire — n'attendez pas le premier jour de tournage pour le convoquer et lui faire découvrir ce qu’il aura à faire.
Pour un long-métrage ou un film d’époque avec une distribution importante, il pourra falloir plusieurs semaines.
Maquillages de composition et prothèses
Ce sera toute transformation du visage de l’artiste pour lui composer l’aspect du personnage à représenter (postiches d’époque, ressemblances, blessures, vieillissements, etc…).
On pourra toujours improviser sur place certains effets pour une journée, mais pour raccorder d’une séance de tournage sur l’autre, il faudra faire ou faire faire des prothèses, chacune ne servant qu’une fois, car elles sont détruites au démaquillage.
S’il y a lieu de faire des prothèses et selon l’importance du projet, il faudra prévoir au minimum dès que les fournitures seront disponibles :
Naturellement, si vous avez besoin de tout cela en même temps, il vous faudra additionner tous ces délais ou engager une équipe qualifiée plus nombreuse. Mais le délai de fabrication des perruques et postiches éventuellement nécessaires en quantités suffisantes pour tous pour la durée du tournage, comme expliqué dans la section précédente, ne sera pas forcément cumulatif puisque fait ailleurs par une équipe autrement spécialisée.
Ce sont là des règles générales approximatives pour vous donner une idée. Le maquilleur prothésiste choisi vous donnera une estimation plus précise en fonction de votre projet quand vous l’aurez bien défini avec lui. De même, si vous avez plusieurs perruques et/ou postiches, le perruquier vous indiquera son délai, car vous ne serez sans doute pas le seul client qu’il devra servir.
Vous voyez déjà mieux qu’on ne peut pas sérieusement demander à la cantonade « — une maquilleuse, svp… » à la dernière minute comme si tout cela ne devait pas exister. Il y a un vrai travail d'équipe à fournir dans l'intérêt même de votre film.
Les essais avant tournage
Créer l’image d’un personnage de fiction ne se fait pas d’un coup de houppette magique à la dernière minute. Il est même indispensable de faire des essais de maquillage avant un tournage. Pourquoi ?
Non seulement pour préparer correctement le travail, matériel, techniques et personnels, mais pour créer un contact humain entre les membres de l’équipe qui va travailler pour le tournage.
On peut faire des essais collectifs pour les décors, la caméra, le son, les costumes et le maquillage, ou lors de castings avancés pour des rôles précis (notamment pour les films d’époque), ou pour le seul maquillage quand il y a des maquillages de composition importants à mettre au point, ce qui donne une idée du temps qu’il faudra prévoir chaque jour sur le plateau pour ces maquillages plus longs que d’ordinaire. Chaque séance d’essais sera donc organisée en fonction du projet, avec le ou les comédiens, la mise en scène, le ou les maquilleurs, le ou les coiffeurs, et la production.
Ces essais permettront de réaliser une ou plusieurs propositions différentes pour un même personnage et de choisir ce qui servira le mieux la production. On n’hésitera donc pas à demander au maquilleur de préparer et d'essayer plusieurs prothèses ni au coiffeur plusieurs chevelures ou couleurs pour un même personnage, surtout pour les actrices. Au besoin, des ajustements seront faits (plus long, plus court, plus clair, plus foncé, etc…), et une autre séance d’essai sera programmée pour présenter l'affinage de la recherche du personnage. Si on s'y prend suffisamment à l'avance, on peut demander au maquilleur de préparer plusieurs (petites) prothèses pour le jour des essais : si les changements ne sont pas trop longs, on peut déjà gagner du temps. Il est évident que si plusieurs personnages vieillissent en même temps dans le film, il faudra faire des prothèses et des essais maquillage pour tous en même temps, donc prévoir une équipe de plusieurs maquilleurs capables de faire et maquiller des prothèses, soit engagés séparément — mais vous risquez d’avoir des styles très différents à l’arrivée — soit que votre chef maquilleur constitue lui-même son équipe pour coordonner les travaux de façon homogène.
Naturellement, tous les films ne nécessitent pas une préparation longue ou compliquée et les discussions avec votre chef maquilleur vous permettront de faire la part entre l’idéal et le possible, sachant qu’il faut rester utile et efficace.
En outre, on pourra constater combien de temps il faut effectivement pour réaliser le maquillage et ainsi organiser le tournage en prévoyant le délai nécessaire pour la convocation du ou des comédiens, puis le temps qu'il faudra ensuite pour démaquiller en cas de changement de maquillage dans la journée. Le maquilleur en profitera pour déterminer le démaquillant le plus approprié compte tenu de la sensibilité de la peau de l'artiste et des colles employées. C'est lors de ces essais qu'on constatera tous les problèmes possibles afin de les résoudre et les éviter sur le tournage, d’où leur importance.
Ces essais donnent à tout le monde (acteur, réalisateur, maquilleur, coiffeur, chef opérateur, producteur, costumier, photographe de plateau) une grande sérénité sur le tournage car on connaît d’avance le résultat et on l’a accepté. Donc pas de stress dû à l’inconnu, bonne humeur et gain de temps sur le plateau.
On ne saurait trop recommander d’essayer les maquillages, au moins de tous les artistes principaux, comme on essaie leurs costumes. Cela fait normalement partie intégrante d’une préparation solide. Cela vaut aussi pour les personnages secondaires : improviser un faux nez — nécessairement alors à la pâte à modeler, cire ou silicone — sur un acteur qui a plusieurs jours de tournage prévus conduit à des pertes de temps considérables sur le plateau, par la suite, pour l'entretenir en bon état ou le refaire aussi exactement que possible les fois suivantes.
Il ne faut pas oublier un détail important pour la réalisation des maquillages et le respect des horaires, l'installation sur place, car cela peut impacter considérablement les temps de préparation des acteurs, en dehors de la durée des maquillages proprement dits. Les professionnels aguerris seront déjà instruits, mais nous nous adressons ici surtout aux nouveaux venus dans le cinéma : les maquilleurs sauront dorénavant ce qu'ils doivent demander précisément, les réalisateurs ce qu'il faut prévoir, les régisseurs quoi préparer.
En arrivant sur place, où que ce soit, les maquilleurs et coiffeurs doivent trouver tout cela prêt à les recevoir pour accomplir leur travail. Si ce n'est pas le cas, cela crée inévitablement une grosse perte de temps et donc un gros retard sur le plateau ultérieurement.
Quoique que le démaquillage soit possible aisément pour des maquillages normaux contemporains, il est également souhaitable de prévoir au moins une douche pour les gros maquillages, à prothèses, naturellement, mais aussi salissures, sang, postiches…
Il y aura donc grandement intérêt à ce que chacun y pense pour sa part.
Pour établir chaque jour votre feuille de service, le programme du tournage du lendemain, votre 1er Assistant devra demander, au plus tard la veille, à vos chef-maquilleur, chef coiffeur et chef costumier combien de temps il leur faudra pour préparer chaque artiste avant le moment de tourner. En fonction de votre plan de tournage, vous pourrez donc échelonner leur passage au HMC (Habillage-Maquillage-Coiffure = Hair-Makeup-Costum) pour que tout le monde n’arrive pas en même temps et n’attende pas inutilement.
Pour les maquillages de composition nécessitant la pose d’une perruque, il est courant que le coiffeur commence par préparer la chevelure, que le maquilleur fasse son travail, puis que le coiffeur pose la perruque ou termine la coiffure spéciale.
A titre indicatif, voici quelques durées de maquillages courants :
Naturellement, un maquillage cumulant plusieurs de ces techniques pourra durer moins longtemps que la simple addition des temps ci-dessus sans que cela puisse être certain. Il faudra toujours se renseigner à l’avance auprès du maquilleur pendant la préparation.
S’il doit y avoir des prothèses sur les mains et les bras, cela prendra encore plus de temps, mais votre maquilleur vous en aura averti préalablement. Cela peut être fait par un assistant pendant que l’on termine le maquillage du visage.
A la durée du maquillage proprement dit, il ne faut pas oublier d’ajouter la durée de la coiffure : 10-20 minutes pour une coiffure simple d’homme à 1h/1h30 pour une coiffure élaborée de femme. La pose d’une perruque normale féminine raccourcira ce temps, mais les perruques censées représenter des coiffures du XVllle s. très élaborées prennent parfois 45 minutes à poser et ajuster à l’artiste. Vous ne voudriez pas qu’elles tombent pendant la prise, n’est-ce pas ?…
Voilà. Vous avez là quelques éléments pour vous faire une idée du temps qu’il faudra consacrer au maquillage pour qu’il soit correct dans l’intérêt même de votre film.
J’attire toutefois votre attention sur les pertes de temps possibles et hélas! trop fréquemment imputées à tort au maquillage :
Vous avez à présent une idée du travail que les maquilleurs doivent accomplir réellement et je vous invite, amis réalisateurs, à lire aussi le Chapitre 8 où je développe le travail de conception des maquillages par le maquilleur. Vous pouvez maintenant comprendre pourquoi il faut du temps et du budget pour préparer un film convenablement afin de le tourner dans de bonnes conditions, et pourquoi il est inconvenant de demander des devis à plusieurs personnes. Il est en effet plus correct de choisir votre chef maquilleur vraiment soigneusement en fonction de son expérience réelle, ce qui signifie que vous devrez prendre le temps de le choisir sérieusement, et de vous y tenir dès le premier instant.
Cette préparation normale d'un tournage est rémunérée sur les films professionnels pendant toute la durée de leur préparation et, selon les directives de la Convention Collective, au minimum (plus s'il y a lieu) pour l'équivalent de deux semaines du salaire convenu pour le tournage, et du tournage, bien sûr, et c'est bien normal puisque les maquilleurs y passent du temps dans l'intérêt de votre film. C'est en tout cas comme cela que les productions professionnelles normales fonctionnent.
Sur un court métrage d'école ou sur un film d'amateur, même s'il n'y a pas de gros budget, il vous faut aussi penser à rétribuer un minimum décent, d'une manière ou d'une autre, ce travail accompli pour vous et votre film par votre équipe maquillage - coiffure.
Si vous voulez devenir professionnels vous aussi, chers amis futurs réalisateurs, autant fonctionner tout de suite de la bonne façon et préparer le maquillage de votre film avec autant de soin que l'image et le son. Pensez-y, il n'y a pas que l'électronique, l'informatique et la calculette dans un film, il y a aussi — et surtout, et c'est tant mieux — un aspect humain dont on ne parle pas assez dans les écoles : les acteurs et tout ce qui les concerne, maquillage, coiffure et costumes. C'est à dire, hélas!, les branches délaissées de l'éducation cinématographique en France.
Vous avez compris que nous allons maintenant parler, au chapitre suivant, du prix du maquillage.